In for a penny, in for a pound. C’est probablement ce que s’est dit le middle-manager devenu commercial lorsqu’il s’est retrouvé là, à la croisée des chemins. D’un côté un deal prometteur, l’opportunité de tracer sa propre voie et l’occasion d’apprendre auprès de celui qu’il a toujours admiré depuis son arrivée – 6 mois plus tôt. De l’autre, la sécurité d’un revenu stable et d’un emploi sans risque. Pour certains, ce choix serait évident, mais pour quelqu’un comme notre commercial, qui rêve de grandeur mais aussi de fortune facile et de pouvoir, la question n’est pas si simple. Et ce potentiel allié cache encore bien des secrets qu’il faudra révéler. Notre commercial va devoir décider s’il est judicieux de lui accorder sa confiance – et espérer ne pas le regretter.


Le temps suspend son cours. Enfin, probablement pas réellement, mais je jurerais qu’il le fait alors que je m’élance, arme au poing, prêt à donner le coup fatal. Ou à le recevoir, il ne faudrait pas grand-chose de plus pour m’éliminer. Comment j’en suis arrivé là ? C’est précisément où j’allais en venir.


Tout a commencé ce matin, une journée pourtant comme les autres. J’avais quitté mon appartement légèrement en retard, et comme d’habitude lorsque l’on est juste niveau timing, les galères se sont enchainées. Résultat je suis arrivé 20 minutes plus tard que prévu – pour la troisième fois de la semaine – et ai reçu ce regard que je hais du manager. Vous savez,  ce regard de « j’ai tellement été déçu que je ne relève même plus » ? Il rira moins quand je vais dérocher le deal de l’année. On verra bien s’il me prend toujours de haut à ce… wow, obstacle, obstacle !

J’évite de justesse la secrétaire qui sort en trombe du bureau du directeur. De toute évidence, je ne suis pas le seul à passer une mauvaise journée. Je laisse trainer une oreille en passant mais ne perçois que les mots « profits » et « effectifs » avant que l’agent de sécurité près du bureau du chef – pourquoi d’ailleurs ? On est une petite boîte de tech, rien de bien particulier, je me demande ce qu’il y a de si nécessaire à garder dans ce bureau – se racle la gorge pour me faire comprendre que mieux vaut déguerpir en vitesse, dans mon propre intérêt. Je regagne donc ma place aussi discrètement que possible et m’installe pour faire le point sur les rendez-vous de ma journée.

Je pourrais vous expliquer en détail mon boulot, vous abreuver de formules de tableur et vous mettre mon agenda sous le nez, mais soyons honnêtes tout le monde s’en fiche, moi y compris. Ce n’est pas pour ça que vous êtes là de toute façon, et aussi attractifs que soient mes diagrammes partagés, ils ne sont rien face à l’histoire piquante que je m’apprête à vous raconter une fois ma digression finie.

Enfin bref, la matinée n’a pas l’obligeance de défiler comme je le souhaiterais. Vous savez de façon cool, comme dans les séries. Je ferais courir mes doigts sur le clavier avec un air concentré et comme par magie 4 heures se seraient écoulées. Sauf que non, les minutes défilent lentement et l’aiguille de l’horloge placée pile dans mon champs de vision ne va certainement pas m’aider à relativiser. Pas plus que Gary, mon voisin de bureau qui refuse toute communication parce que je suis, parait-il une « source de distraction qui l’empêche de travailler ». Moi ? le type le plus pro de ce bureau, l’empêcher de travailler ? Unbelievable !

Ahem, donc, une journée particulièrement pénible s’annonce. Mais ça c’était sans compter sur la visite surprise de Clark Trap. Clark, c’est la raison pour laquelle je ne me plains pas de ma situation. Déjà, moi j’ai au moins quelques bribes de souvenirs. Lui est totalement amnésique suite à un accident. Et si ces trous de mémoire me perturbent, j’ose même pas imaginer ne rien savoir du tout. L’angoisse !  Mais aussi et surtout, Clark c’est ce type qui met un peu de saveur dans une existence si fade. Il était là à mon arrivée à Techtonic. Un programmeur un peu hors norme – comme on aime, pas façon geek malaisant hein – de ceux qui savent mettre l’ambiance. Il a un charisme naturel, le génie de ceux qui pensent par eux-mêmes sans jamais se laisser influencer. Bref, il est une inspiration – non, un modèle pour moi.

Enfin il l’était. Il a quitté la boîte quelques semaines après mon arrivée, alors que j’étais enfin en passe d’équilibrer nos scores au fingergun – des batailles épiques dans lequel on se lance lui et moi. Juste lui et moi, je veux dire. Je ne lui en veux pas pour ce départ, il vaut bien mieux que cette entreprise, que toutes les entreprises en fait. Mais je me sens un peu seul depuis qu’il n’est plus là. Lui me comprenait, maintenant c’est juste l’épaule froide de Gary et le regard suspicieux de Penny la secrétaire qui croit que je la drague comme tous les autres – tout ça parce que j’avais desserré ma cravate la première fois que je suis allé lui parler, mais je venais de m’étouffer avec un pépin de raisin pour ma défense !

Donc, le retour de Clark. En grande pompe, comme tout ce qu’il fait. Alors que je regardais avec nostalgie la partie de mon bureau sur laquelle il venait s’appuyer – toujours vide même depuis son départ, je refuse de recoloniser cette zone et préfère la laisser libre d’accès s’il devait revenir un jour – lorsque sa voix retentit dans l’open space, comme si je l’avais invoqué. Je m’ébroue, me donne une petite claque pour vérifier que sa voix n’était pas dans ma tête mais lorsque je me retourne, il est bien là, en chair et en os – enfin, en jaune et en donuts.

Il s’installe nonchalamment près de la fontaine à eau et je me joins à la masse de zombies donutovores qui se dirige vers lui. Pas dans les premiers, je ne veux pas avoir l’air désespéré. Je dois me la jouer cool, nonchal-

Je laisse échapper un petit cri. Tout concentré que j’étais dans mon plan génial de reprise de contact avec mon idole du moment, je n’avais pas vu que j’étais arrivé au niveau de Clark, et la claque qu’il donne sur mes fesses m’arrache un sursaut en plus du cri. Pour l’attitude nonchalante on repassera.

je réponds avec un petit rire gêné.

demande avec une ironie à peine voilée Cynthia, icy queen du groupe. Le genre de beauté glaciale qu’on ne trouve normalement que dans les œuvres de SF un peu cheap.

ajoute Jimmy, alpha-mâle ultra viril qui n’accepte que la position de leader.

Devant leur accueil mitigé, je me racle la gorge et décide de prendre la défense de mon héros.
je leur dis de mon ton le plus inspirant.

A peine ai-je fini de parler qu’ils se jettent aux pieds de Clark pour implorer son pardon, et Clark, lui reconnait ma valeur et me porte sur ses épaules pour…


Sur ces entrefaites, tout le monde attrape un donut et retourne à sa place. Il ne reste que Clark et moi, debout près de la fontaine à eau et le carton vide entre nous.

Si mes arguments – pourtant excellents – ne semblent pas émouvoir mes collègues, ils ont au moins l'avantage d'attirer l'attention de Clark qui m'adresse un petit clin d'oeil. Je rougis malgré moi. Pas dans le sens lycéenne en émois, évidemment, plutôt le genre « mon héros m'a remarqué ». Je savais que ça allait être une bonne journée ! Ce qui n'empêche pas mes chers collègues de dévaliser le carton de donuts et de filer aussi sec, nous abandonnant Clark et moi dans un silence un peu gênant. Je me racle la gorge et échange des banalités pour meubler la conversation. En réalité, je suis mitigé. Déjà parce que ces abrutis ne savent pas reconnaître un génie quand ils en voient un et lui manquent ouvertement de respect – ce qui a le don de me frustrer. Mais, d'un autre côté, leur ignorance me permet un échange privilégié avec mon héros. Juste lui et moi – et le carton de donuts vide. Immédiatement je m'en veux pour cette pensée. Je ne devrais pas me réjouir que l'on témoigne du dédain au plus grand cerveau de cette foutue boîte, il mérite tellement mieux !

Clark, lui, ne semble pas s'émouvoir autant que moi et me colle une grande claque dans le dos qui me donne envie de tousser. Je me retiens de justesse et prends un air dégagé, comme si de rien n'était.

je réponds, un peu amer.

Mais le peu de contenance que j'avais s'envole dès qu'il reprend la parole.

je demande, incrédule.

Que je sois moi content de retrouver mon idole ne fait pas l'ombre d'un doute, mais la réciproque me.... Oh, oui il a raison, les exploits ont encore plus de saveur lorsque.... Une minute, est-ce qu'il vient de dire que je lui ai manqué ? Enfin, non, pas exactement, mais c'est tout comme, right ? RIGHT ?

je réponds avec une fausse nonchalance pour cacher mon excitation, tout en le suivant vers l'ascenseur.

C'est comme dans mon rêve. Rien de tordu, rassurez-vous, juste Clark qui me repère au milieu d'une foule en liesse et qui m'annonce officiellement comme son bras droit. Ou son héritier, ça dépend des fois. Bref, quelqu'un qui a la classe, quelqu'un qui compte. Bon, on en est pas encore vraiment là – il ne s'agit après tout que de beignets de la cafétéria d'une modeste boite de tech, mais reste que mon héros prend du temps rien que pour moi, ça veut bien dire quelque chose, non ?

C'est donc d'un pas guilleret que je rentre à mon tour dans l'ascenseur et en profite pour jeter un rapide regard à mon idole. Il est un peu plus pâle que dans mes souvenirs, un peu amaigri aussi, et ses traits sont tirés. Pas de repos pour les héros, je suppose qu'il doit être débordé avec tous ces trésors à récupérer, il ne doit plus savoir où donner de la tête. Je détourne les yeux de peur qu'il ne capte mon regard et concentre toute mon attention sur le panneau de commande. Je n'avais jamais remarqué à quel point ils brillaient ces boutons. Et cette touche qui a un peu de mal à s'enfoncer, c'est récent ?  Urg, je veux pas savoir ce qui a causé cette tâche sur la touche du 6e. En tout cas c'est dans le silence le plus total que se déroule notre trajet gêné – et gênant ? - jusqu'au sous-sol où se trouve le réfectoire. Je ne sais pas ce qui préoccupe Clark, d'ordinaire si bavard et à l'aise en toutes circonstances, mais il ne décroche pas un mot, ce qui m'encourage d'autant plus à conserver toute mon attention sur ces boutons, décidément passionnants. Quand sonne enfin le « ting » libérateur je cours presque hors de l'appareil et espère trouver quelque chose – n'importe quoi – pour relancer la conversation. Enfin, ça c'est la théorie, dans la pratique, Clark me dépasse et me gratifie d'une petite claque sur les fesses qui m'arrache la même réaction que la première fois. Je ne m'y ferai décidément jamais !

Heureusement mon héros vient à mon secours en reprenant la parole comme si de rien n'était et se dirige avec son habituelle assurance jusqu'au comptoir réclamer son dû – nos pâtisseries. J'ai aucun mal à croire qu'il lui ait été difficile de trouver du temps pour moi, il doit être très occupé. Outre son business de chasse aux trésors, Clark est le genre de types qui a toujours plein de projets – et des projets qui comptent, ceux qui peuvent révolutionner le monde. A vrai dire je suis même flatté qu'il ait pris le temps de nous – me – rendre visite.



Je ne finis pas ma phrase, je sais qu'il comprend ce que je veux dire. Dans la vie, il y a les gars comme lui, toujours sous les projecteurs et qui rendent le monde meilleur, les geeks coincés sur le banc de touche jusqu'à la fin de leurs jours, et les mecs comme moi qui sont cools, mais personne ne s'en rend compte... Pour l'instant. Et Clark est trop intelligent pour ne pas en avoir conscience, en tout cas c'est ce que je me dis en le voyant frapper la machine à café pile comme il faut, comme s'il n'était jamais parti. Où que Clark Trap passe, il laisse sa marque, comme si le monde entier lui appartenai- QUOI ?! Je me pince pour vérifier que je ne rêve pas et plaque ma main contre mon front, bouleversé.


Je demande, encore sous le choc de la révélation. J'avais envisagé des tas de raisons potentielles pour sa venue en le voyant débarquer ce matin, mais certainement pas ça. A peu près tout sauf ça, même.

Non, je ne rêve pas ! Je le sais parce que je me suis pincé pour être sûr, mais Clark est bel et bien sérieux et me demande réellement de venir chasser des trésors à ses côtés. Je ne vais pas mentir, le tableau fait rêver : lui, moi, des montagnes de billets, la célébrité et la reconnaissance de ces inconnus qui ont si cruellement besoin de nos services, ces artéfacts rares et cette classe indubitable d'avoir terrassé des monstres - bon, peut-être pas pour les monstres, on est pas sur une planète désolée comme on en voit que dans les univers de S-F, mais la classe quand même !



Je m'apprêtais à accepter, à tout plaquer pour le suivre mais soudain je réalise ce dans quoi je m'engage. Vendre des téléphones reconfigurés, c'est dans mes cordes, je sais comment m'y prendre - j'ai un talent pour embobiner les gens. Parfois - mais est-ce que j'ai vraiment les épaules pour ça ? Et si je me plantais lamentablement ? Clark m'en pense probablement capable s'il me propose le job, et Clark Trap ne se trompe jamais, mais et si ? Et si j'avais l'air stupide devant mon héros ? Est-ce que je suis vraiment prêt à prendre le risque ? Et capable d'assumer ensuite.

je répète du bout des lèvres, plus pour moi que pour lui.

Évidemment que l'offre est alléchante, c'est tout ce dont j'ai pu rêver ces derniers mois. Mais si je dois être parfaitement honnête, Clark a l'air épuisé. Et lui tient le choc, parce qu'il a l'étoffe d'un héros, il peut affronter n'importe quoi. Mais moi ? Je manque d'évanouir à la vue du sang - ou quelque autre fluide corporel - je tolère très mal la faim et la fatigue, j'ai le courage d'une éponge détrempée, je tiendrais pas deux semaines... Et puis, mon petit job a rien de passionnant, et franchement je m'y ennuie un peu. Mais il a l'avantage de me permettre de payer un loyer et de quoi manger.



Je baragouine en essayant de me convaincre moi-même autant que de le convaincre lui. Pas que Clark est exceptionnel et que je ne le suis pas, ça c'est un fait avéré, mais de faire passer la raison avant mon envie de le suivre jusqu'au bout du monde s'il me le demandais !


je conclus, la mort dans l'âme.

Mais une petite lueur d'espoir me prend. Il est venu avec le contrat, en un mot préparé. Clark ne ferait pas ça sans être certain de son coup, pas vrai ? Alors c'est que lui y croit quelque part ? Et si j'étais en train de faire une erreur ?

J’avais presque oublié à quel point Clark pouvait être convaincant. Presque, parce que si forte soit l’envie de le suivre, la peur de n’être pour lui qu’une gêne – et de me ridiculiser devant le mec le plus classe de l’univers tout entier – l’est encore plus. Je veux dire Clark ne mérite que le meilleur, et je suis sans aucun doute un excellent atout, mais ai-je le niveau pour le seconder ? Lui semble le croire, il n’écoute pas un instant mes arguments – il est bien trop important pour en avoir le temps – et plaque une main autoritaire sur mes lèvres avant que je ne lui sorte le grand jeu. Et là tout mon argumentaire vole en éclats.

Oui, je pourrais tout gâcher. Ma carrière, mes revenus, la bonne image qu’il a de moi. Mais et si j’assurais ? Et si je devenais le side-kick dont il a toujours rêvé sans le savoir ? Le Robin de son Batman – les collants en moins. Enfin j’espère. - Et si, à ses côtés nous devenions les plus grands héros que Staten Island ait jamais porté ? Le doigt que j’avais levé en signe de protestation à défaut de pouvoir parler retombe sur le long de mon flanc, je me laisse peu à peu convaincre par ses mots.

Mais j’ai à peine le temps d’accepter l’idée que je serai bientôt l’un des plus grands chasseurs de trésor, déjà ses arguments se font plus lointains. Wait, non, pas ses arguments, sa voix toute entière en fait. Comme si je l’entendais de l’autre côté d’une vitre ou que…. Oh oh.

Là comme ça j’ai l’air cool, l’attitude du gars qui profite de l’instant présent, qui fait un petit ralenti pour commenter son histoire – parce que c’est aussi ça, être un héros. Mais ce que tu ne perçois pas puisque tu n’assistes pas physiquement à la scène, cher lecteur, c’est que je suis en train de paniquer. Pas parce que Clark vient de se rapprocher dangereusement de moi – enfin pas que – mais aussi (surtout) que la main qu’il a plaqué contre mon visage m’empêche de respirer. Donc dans ces cas-là, on fait quoi ? On vire la main d’un me comme Clark Trap de son visage ? Certainement pas. On gigote dans tous les sens pour lui signaler qu’on ne peut plus respirer – et accepte de perdre la face devant lui ? Ben … Oui !

je crie (enfin, j’essaye) et remue pour me défaire de son emprise, en vain. Clark ne comprend pas le moins du monde où je veux en venir, et à la place de me libérer, il se rapproche encore plus de moi. Vous savez, j’ai souvent vu cette scène en rêve. Clark qui prend du temps pour moi – et seulement moi – et je sais très bien comment je réagirais dans un monde idéal en temps normal. Mon cœur se serrerait, louperait même un battement, ma respiration resterait bloquée dans ma poitrine, je le regarderais avec des yeux larmoyants tandis qu’il me ferait tous ces compliments. Dans la réalité, les choses se passent un peu différemment. Pas les symptômes, eux sont exactement les mêmes. Mais je n’ai pas l’occasion d’en profiter, trop occupé à oh euh, mourir, trois fois rien en somme !


J’attrape le mur dans mon dos pour essayer de m’y accrocher, sentant déjà mes jambes vaciller, je me sens tourner de l’œil lorsque finalement il retire sa main et que l’air recommence à entrer dans mes poumons. Je m’effondre au sol où je prends de grandes inspirations, toute notion de discrétion oubliée – je viens de frôler la mort et euh ma dignité n’est pas ma priorité. Pour être honnête je n’ai aucune idée de ce que vient de dire Clark, j’ai arrêté de l’écouter quelque part après la partie « écrire son nom dans l’histoire », par que j’étais, vous savez, en train de mourir ? Heureusement pour moi, il a une idée de génie – encore une – et me propose de jouer ma décision au finger-gun, notre tradition à lui et moi.

Une fois remis de mes émotions, et l’air circulant à nouveau dans mes poumons, je me relève tant bien que mal et m’accroche à sa main en tentant de la serrer.

je réponds, en essayant persuadé d'avoir l'air cool.

Un peu plus confiant – peu de gens peuvent se vanter d’être ex-aequo avec Clark, et pas seulement parce que nous sommes les deux seuls à jouer dans la compagnie – je renverse la table la plus proche et me planque derrière, prêt à sortir mon arme. Mais avant de lancer les vraies hostilités, j’attrape un cupcake tombé par terre pendant mon action.

je hurle en le lançant aux pieds de Clark.

Ça y est, maintenant j'ai la classe, et la partie peut véritablement commencer. En tout cas dans ma tête, la scène ressemblait à ça.

Caché derrière ma table, mon cupcake explosif volant en l'air, je me détends étrangement. Sourire aux lèvres, j'imagine ce que sera ma vie si je suis Clark aujourd'hui. Enfin, devine plutôt. Parce que la vie de héros, ça ne doit pas être si différent d'une partie de finger-gun, le danger à tous les coins de rue, les explosions qui rythment nos pas, la gratitude de ces gens dans le besoin, perdus sans nous – et surtout les généreuses récompenses qui suivront forcément. Oui, c'est une vie qui m'irait bien. Je me vois déjà, trophée du side-kick de l'année dans les bras, sur le pied d'éstal de ma statue qui ornera sans doute bientôt la place principale de la ville. Car c'est ça la vie qui m'attend.

Pendant que je rêve, Clark s'est lui aussi mis à couvert – il connait aussi bien que moi le danger de ces pâtisseries explosives. Tu ne le sais pas, cher.e lecteur.ice, puisque tu n'étais pas là les fois précédentes, mais ces batailles légendaires dans lesquelles nous nous lancions Clark et moi ont fait trembler les murs plus d'une fois. Mais on ne devient pas une légende sans faire quelques dommages collatéraux, pas vrai ? Clark, donc, laisse échapper ce rire sinistre – celui des moments critiques comme la signature d'un gros contrat ou l'ouverture d'un pot de cornichon récalcitrant – et bondit par-dessus la table derrière laquelle il s'était réfugié pour passer à l'attaque, et.... Se ramasse lamentablement. Jamais je n'aurais pensé voir Clark rater quoi que ce soit, je suis un peu pris de court et hésite un instant. Mais dans ce genre de batailles, un instant peut vous coûter cher, la vie à vrai dire. J'enfouis donc ma surprise au fond de moi – une technique qui me permet d'économiser des années de thérapie – et engage ma riposte.

… Ce qui sonnait nettement mieux – et moins tendancieux – dans ma tête. Tant pis, je n'ai plus qu'à faire oublier ça avec une action héroïque comme... Comme... Lancer une grenade ? Non, déjà fait, il va s'y attendre. Je dois trouver un autre moyen de le faire sortir de son abri comme... Le canarder depuis le comptoir à viennoiseries. Oui ! Si j'arrive à me glisser sans qu'il le remarque jusque là-bas, je pourrai le toucher sans qu'il ne sache d'où ça vient ! Le plan parfait !

Je m'accroupis et colle mon dos à la table, oreilles à l'affût. Tout est calme, trop calme, j'aime pas trop beaucoup ça. Tant pis, je ne peux pas rester ici indéfiniment, je tente le tout pour le tout et sors de mon abri. Un pas, tout va bien, deux pas, trois , encore quelques uns et....

CRAC !


Je me fige lorsque le son retentit et cherche, paniqué, la source du bruit. Je baisse les yeux et découvre avec horreur un paquet de chips sous ma botte.

je chuchote en voyant l'ombre de Clark se profiler derrière le coin de sa table.

je hurle en courant en direction de l'abri le plus proche, une poubelle dont le couvercle a été renversé par le souffle de l'explosion.



Lui, sans aucun doute, mais je ne peux pas le lui dire, pas maintenant. Et puis une fois, rien qu'une fois, j'aimerais le rendre fier de moi.