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Redemption lies plainly in truth just humor us, Achilles, Achilles, come down Won't you get up off, get up off the roof? feat. Eddie Munson

Fatigué. Tu es fatigué, Viktor. Fatigué de te lever le matin, fatigué de lutter contre ces choses innommables dont tu ignores tout, fatigué de ton corps plus pesant jour après jour. Le temps s’écrase sur tes frêles épaules et tu as l’impression de te noyer, de t’enfoncer peu à peu dans des eaux noires et profondes. C’est surtout ton travail qui t’engloutit sans même que tu ne t’en rendes compte. Il absorbe ton esprit, oblige tes yeux à rester ouverts (encore cinq minutes, encore cinq minutes). Tes rêves, eux, sont peuplés d’images inconnues, de reflets bleus et mauves qui essayent d’atteindre ton bras droit, celui que tu gardes toujours caché sous un gant à cause de son étrange couleur (similaire à celle de tes cauchemars). Tu n’arrives pas à aller dormir.

Debout devant cette boutique, tu hésites. Tu restes un instant à fixer la devanture, comme si elle pouvait à elle seule t’apporter des réponses. Choisir à ta place. Prendre une décision. Appuyé contre ta béquille tu restes au milieu de la rue presque déserte, piqué par le froid glacé du mois de décembre. C’est à cause d’un tract déposé dans ta boîte aux lettres que tu es là. L’idée a tourné plusieurs fois dans ta tête - encore et encore - jusqu’à ce que tu viennes finalement ici. Un tatouage, cela ne t’a jamais traversé l’esprit, avant. C’est à cause de ces marques qui parcourent ton corps ; des runes, comme tu l’as appris récemment. Tu sais qu’elles sont importantes. Tu sais aussi qu’elles gravent sur ta peau le poids d’une culpabilité que tu ne parviens pas à expliquer. Et tout cela pèse sur ton esprit comme du plomb. Tu as retourné le problème, essayé d’y trouver des solutions logiques (et d’autres moins). Seul Jayce pourrait sans doute t’aider, mais comment lui avouer cette honte qui parsème ton corps de cicatrices plus blanches que ne l’est déjà ton teint ?

L’idée de les dissimuler t’es donc venu lorsque tes yeux se sont posés sur ce tract que tu comptais jeter à la poubelle. Il a finalement fini sur ton bureau, coincé entre deux feuilles parsemées de formules et d’algorithmes. Tes yeux remontent jusqu’à la silhouette d’un homme qui attend là, lui aussi. Tu l’observes un instant, notes son sourire et l’air satisfait sur son visage, et tu hésites encore. Tu entrouvres légèrement la bouche sans savoir trop quoi dire. Tu n’as certainement pas le profil de ceux qui viennent se faire tatouer - si tant est qu’il y ait un profil pour cela. Tu ne t’es jamais posé la question. Tes yeux se posent à nouveau sur la vitrine et cette simple action semble enfin te décider. Tu t’approches en prenant appuie sur ta béquille.

« … Bonjour. » laisses-tu enfin tomber de ta voix rendue un peu plus tranchante que ne l’est ton intention. C’est ton léger accent qui s’attarde sur les r de manière presque aigre et qui traîne sur certaines syllabes qui rend ton langage un peu sec. « Vous travaillez ici ? Est-ce que vous pouvez me renseigner ? »

by lilie

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Les autres attirent souvent peu ton intérêt, tu ne fais donc pas le lien entre cet homme et un quelconque visage que tu aurais pu croiser ailleurs. A sa question, tu te contentes de hausser vaguement les épaules. Tu ne sais pas vraiment ce que tu fais là, à vrai dire, et ce monde là t’es totalement inconnu. Quelque part pourtant, bien au-delà d’une simple idée pratique, marquer ta peau te plaît, d’une certaine façon. Comme un moyen de posséder ce corps traître qui t’échappe sans cesse, que tu peine à supporter et à comprendre. Ce corps un peu trop humain à ton goût mais contre lequel tu ne peux rien.

« Mmh … » tu jettes un coup d'œil aux motifs. Certains te plaisent un peu, oui, mais tu ne sais pas.  Comme s’il semblait saisir ton hésitation, le jeune homme te propose plutôt d’entrer pour… En discuter ? Tu lui adresses un regard circonspect mais la manière dont il a de s’adresser à toi te met curieusement à l’aise. Il dégage quelque chose de très amical, quelque chose qui pousse à dire : Oui bien sûr, pourquoi pas. C’est ainsi que tu te retrouves à le suivre à l’intérieur de la boutique. L’atmosphère est différente de ce à quoi tu t’attendais. Tu t’étais imaginé un repaire un peu glauque mais c’est toute autre chose. Doucement, la tension dans tes épaules s’estompe et tu cesses d’être sur tes gardes. Tu te redresses légèrement contre ta béquille et observes les lieux avec une forme de curiosité qui brille dans ton regard doré. Quelques personnes vous saluent et tu esquisses un bonjour du bout des lèvres, toi aussi.

Finalement, ton interlocuteur te propose une place sur un canapé et tu prends doucement place en laissant ta béquille s’appuyer contre le mur, juste à côté de toi. Tes yeux se posent sur les différents motifs et dessins, sur les planches, et tu les parcours du regard. Certains styles sont intéressants. Tu ne peux pas dire être particulièrement sensible à l’art ; en fait, tu laisses très peu de place aux émotions dans ta vie quotidienne malgré cette passion prononcée qui ressort dans ton sujet de recherche. En dehors de ça, tu tentes généralement de rester pragmatique, surtout en termes de relations humaines. Alors, l’art du dessin, une matière si sensible, si subjective, ne t’a jamais vraiment attiré. Tu ne sais donc pas comment faire ton choix, à vrai dire. Ni même comment ce business-là fonctionne. Ni quelles sont les motivations de ces tatoueurs. On le devient sans doute par passion mais … Pourquoi ? Tu penches légèrement la tête sur le côté en réfléchissant à tout cela à la fois et c’est la voix de ton interlocuteur qui te ramène au moment présent. Tu relèves la tête dans sa direction. « Un café, merci. Si vous avez du sucre à mettre dedans ? » Tu bois certes beaucoup de café mais tu as une préférence pour tout ce qui est sucré, bien que tu n’en aies pas l’air. Ta préférence va pour le lait chaud mais tu doutes fortement qu’ils en aient ici en stock. « Si non de l’eau ira très bien, c’est gentil. » ajoutes-tu.

Tu attrapes l’un des books et ton regard s’arrête sur certains motifs assez simples, assez bruts dans leurs formes, mais qui attirent ton attention. Ce n’est pas quelque chose de délicat, comme certains autres motifs, mais presque d’enfantin, d’abstrait. Tu penches légèrement la tête sur le côté avant de poser un regard tout autour de toi à nouveau. Tu reposes doucement le book que tu tiens entre tes mains et regardes un peu les autres. Finalement, tu reportes ton attention sur le jeune homme.  

« Je suis un peu perdu, j’imagine que ça se voit. » dis-tu enfin. « Pour être honnête, j’ai beaucoup réfléchi et c’est un tract qui m’a finalement décidé à venir ici. Il y a beaucoup de choix et de possibilités, je vois bien la différence des styles, mais je ne suis pas très sensible, face à l’art. Disons qu’il ne m’atteint pas vraiment … Je ne sais pas vraiment comment choisir ce qui pourrait me correspondre. »

Mais tu es plus sûr de ton envie malgré tout. Te réapproprier ta peau et ce corps est une nécessité qui grandit de jour en jour.

« … Qu’est-ce qui vous plaît, dans les tatouages ? Vous faites ça depuis longtemps ? »

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TW : mentions d'auto-mutilation / d’expérimentations sur soi-même.

Face à quoi es-tu sensible ? C'est une bonne question. Tu ne prends pas la peine de réfléchir à ce genre de choses, même durant les séances avec taon psy – bien qu'il insiste parfois trop lourdement sur ce point à ton goût. Les émotions humaines te semblent parfois un peu trop pesantes, inutiles, comme un obstacle. Tu essayes de t'en détacher le plus possible pour rester à la fois objectif et concentré mais ce n'est pas toujours possible. Parce que tu restes un être humain. Parce que tu ressens malgré tout des choses. Tu te sens bien en certains cas, tu dois le reconnaître. La science, les chiffres te parlent et sont pour toi une manière de créer, de s'exprimer, de réinventer le monde, de le voir sous un nouvel angle. Mais tu n'imagines pas te faire tatouer une équation. Tu veux t'éloigner de ton travail, avec ces tatouages car, bien que tu ne t'en souviennes pas vraiment, tu te doutes que tes recherches passées sont la cause de ces marques, ces cicatrices sur ta peau.
Tu n'es pas stupide, tu n'es pas non plus aveugle. Les symboles que tu as vu dans le bureau de Jayce sont les mêmes que ceux qui sont gravés le long de tes bras, et sur ton torse. Tu en as donc conclue une suite d'événements qui te semblent logique : tu t'es fait ça à toi-même. Pourquoi, tu l'ignores, mais tu sais que tu en es capable. Tu ne serais donc pas étonné de t'être infligé ça pour une raison ou pour un autre. Cela exclue donc les chiffres et les calculs, même si les formules mathématiques ont quelque chose de très esthétique, à tes yeux.

Tu hausses donc vaguement les épaules. Tu n'es pas du genre à t'émouvoir devant une fleur, un oiseau ou un poème. Pas du genre à vouloir non plus que ces tatouages aient une symbolique cachée et mystérieuse. Cela ne t'intéresse pas. Tu souhaites avant tout te réapproprier ce que tu t'es sans doute toi-même arraché. Tu ne peux donc pas le faire à la légère. Il te faut réfléchir aux tenants et aux aboutissants de ce que tu souhaites encrer sur ta peau à la place de ces symboles. Quelque chose qui entre en harmonie avec eux, peut-être, bien qu'ils ne se voient presque plus, cicatrices devenues blanche sur ta peau déjà bien pâle. « Je ne sais pas. Je suis passionné par mon travail mais je ne souhaite pas qu'un tatouage soit en lien avec ça. » expliques-tu, sachant que tu donnes sans doute de maigres pistes au jeune homme pour qu'il parvienne à te conseiller. C'est pour ça que tu préfères lui poser des questions sur son métier, sur ce qui l'a poussé à le faire, aussi. Et sa réponse te plaît, ne te déçoit pas. Tu le poses ton regard doré sur lui alors qu'il t'explique cela et tu hoches la tête, pensif.

« Où, oui, je le sais. » réponds-tu tout de suite. Pour le reste, tu hésites un peu. Mais lui, ou un.e de ses collègues, verront bien de quoi il en retourne de toute façon. « Sur mes bras et sur le haut du torse... Peut-être plusieurs tatouages, en définitive. Pas forcément de grosses pièces, mais une succession de petites. » ça te semble plus approprié, pour toi. Plusieurs petits tatouages différents, sans sens particuliers, mais là, bien présents. Tu poses une de tes mains gantées sur ton bras, par réflexe. « Eh bien, comme vous l'avez dit. Me réapproprier mon corps. C'est l'idée que je m'en faisais. » Tu fais un léger geste en signe d'impuissance. « Je ne m'attache pas vraiment au symbolisme, je ne me considère pas comme quelqu'un de particulièrement sensible non plus. En fait … Il y a beaucoup de choses que j'ignore sur moi, comme c'est le cas pour d'autres, ici. Et des choses sur mon corps en font partie. J'aimerais donc qu'il m'appartienne davantage. J'aime les choses …. Brutes. Directes. Pas de fioritures, pas de poésie. Juste... De la simplicité. »

Tu appuies ton coude sur l'accoudoir et poses ton menton sur ton poing fermé en continuant de regarder ton interlocuteur. Tu ne sais pas si cela fournit plus de pistes. C'est encore très flou, et tu ne sais pas si les clients viennent d'ordinaire avec des idées déjà précises ou s'il y a de tout.

« Vous... Tu as des tatouages ? Pour quelle raison les as-tu fait, toi ? » demandes-tu en continuant de l'observer.

by lilie

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D’un geste de la main, tu attrapes la tasse déposée sur la table, devant toi. Malgré tes gants, la chaleur se diffuse dans tes doigts et te réchauffe un peu, toi qui as toujours froid. « Merci. » dis-tu, légèrement amusé par la manière dont ton interlocuteur semble s’être éparpillé en se rappelant de l’existence du café. Tu ouvres les sachets de sucre dont les grains immaculés tombent les uns après les autres dans le liquide sombre qui s’agite légèrement. Tu plonges ta cuillère à l’intérieur et viens remuer le contenu d’un geste lent tandis que votre conversation reprend. Des tatouages liés à des hobbies, à une passion, donc. Cela te fait réfléchir mais, en dehors de ton travail et des recherches mises en place avec Jayce, rien ne te passionne assez pour venir le graver sur ta peau, juste comme ça.

Ton regard se pose sur les dessins encrés sur le bras de ton interlocuteur. Tu ne connais pas le personnage qui y est représenté, mais il est exécuté avec précision et une forme artistique indéniable. A côté de cette figure s’envolent des chauve-souris et, de l’autre côté, se trouve une ce qui ressemble à un dragon. Tu hoches donc la tête d’un petit mouvement sec pour marquer ton approbation. Tes yeux se posent à nouveau sur le visage du jeune homme qui te fait face. Chacun a ses raisons pour se faire tatouer, sans doute. Des raisons valables d’un individu à l’autre. Peu importe. Parfois, il n’y a pas besoin de raison, juste l’envie, juste le plaisir. Deux choses compréhensibles, elles aussi. Tout le monde est abîmé par la vie, à sa manière. Tout le monde trouve une manière de survivre et d’apprivoiser son existence. C’est ainsi, et c’est sans doute aussi le cas de ton interlocuteur, et c'est ce qui te pousses d'ailleurs à lui faire confiance, à souhaiter que ce soit lui qui te tatoue. Toi, que les médecins disent condamné, tu devrais sans doute connaître ce sentiment mieux que personne. Pourtant, tu n’as pas l’impression que tu vas mourir, tu n’as pas l’impression de vivre un compte à rebours. Peut-être est-ce parce que tu ne possèdes pas tous les éléments de ta vie ? Que la mort te semble absurde ?

Tu ne sais pas.

« Je vois. J’apprécie votre partage d’expérience. »  dis-tu avec sincérité en réfléchissant à tout ça. Ton interlocuteur baisse sa manche et te propose alors quelque chose qui pique ton intérêt.

Tu attends qu’il trouve ses esquisses en buvant une gorgée de ton café rendu plus doux grâce au sucre. La première planche représente des symboles géométriques très esthétiques mais simples, comme tu l’as énoncé. Cependant, il y a quelque chose dans ces formes qui te mettent mal à l’aise sans que tu ne saches vraiment dire pourquoi. Tu t’agites légèrement sur ton siège et secoues doucement la tête. La deuxième feuille, en revanche, te plaît bien. Tu ne sais pas pourquoi. Les dessins sont très simples, ils ne représentent rien de particuliers, mais ils t’évoquent une certaine … Douceur mêlée de nostalgie. Uuh. Alors les dessins peuvent vraiment faire naître des émotions, c’est donc cela, la sensibilité ? Fascinant.  Fascinant, oui. Mais ça ne te plaît pas spécialement. Être humain ne te plaît pas spécialement.

« J’aime bien ceux-là… » dis-tu tout de même en attrapant la feuille entre tes mains pour la détailler un peu plus, délaissant l’autre dont les formes te donnent déjà des sueurs froides. « Minimaliste. » répètes-tu. « Les dessins sont très bien. »

Ils ne sont pas complexes, n’évoquent rien de particulier, certains sont même plutôt amusants, dans leur forme et dans la manière dont ils expriment malgré tout quelque chose (en tout cas, ils l’expriment pour toi). Tes yeux s’arrêtent sur un en particulier. Pour commencer, il te paraît… Bien. Tu ne trouves pas d’autre terme que celui-ci, même en te creusant la cervelle. Le dessin évoque une fleur avec plusieurs pétales, dont le cœur est un œil ouvert et d’où l’un des pétales tombe comme une larme. Sans sourire, sans tristesse. Pour toi, c’est un état neutre. De la beauté dans ce qui déchire. Des déchirures dans la beauté. Quelque chose comme ça. Peu importe, en fait. Tu aimes bien ce dessins-là. Et la forme s’adaptera, tu penses, à l’une de tes cicatrices pour la dissimuler. Un fait plus pragmatique auquel tu te raccroches.

« Celui-ci en particulier. » dis-tu en le montrant au jeune homme avant de reposer délicatement la feuille sur la table et, à ton tour, de remonter la manche de ta chemise pour dévoiler une partie de ce que tu voudrais dissimuler au fur et à mesure. « Je pensais à cacher ces cicatrices-là avec des tatouages, et celui-ci aurait une forme appropriée pour commencer. » expliques-tu en détachant volontairement tes sentiments de tes paroles pour ne te baser que sur le fait, que sur l’aspect pratique. « Si toutefois cela est faisable, je ne sais pas trop … » précises-tu malgré tout. Les cicatrices ne sont plus que des marques qui parsèment ta peau comme des tâches, après tout, tu ne penses pas qu’elles posent un quelconque problème mais tu n’es pas le professionnel, ici, tu laisseras donc le jeune homme juger de cela.

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C’est sans réticence que tu tends ton bras au tatoueur. Il ne s’agit pas de curiosité mal placée mais d’un travail dans un cadre professionnel. Tu acceptes donc ce contact, cette main autour de ton poignet alors qu’il se penche pour observer les cicatrices d’un peu plus près. Il n’a pas l’air horrifié de Jayce, pas cet éclat de colère et de peur au fond du regard ; il est neutre. Cela te convient et tu parviens enfin à te détendre un peu, à te sentir plus à l’aise, moins perdu au milieu de l’univers inconnu du tatouage.

Sa question est rhétorique, tu y réponds donc simplement d’un vague haussement d’épaule. A vrai dire, tu ne sais pas où tu as eu ces cicatrices. Ni comment. Tu as des doutes, des suspicions, mais tu ne sais pas vraiment et ne peux qu’émettre des hypothèses. Jayce a dit que ces marques n’auraient pas dû être là ; toi, au contraire, tu penses qu’elles sont à leur juste place. Mais leur vision te cause une culpabilité telle que tu en ressens parfois une violente nausée. Tu ne peux pas les faire disparaître, les éradiquer ; les dissimuler, donc, te semble … Adéquat. C’est en tout cas une des raisons qui te pousse à entreprendre aujourd’hui cette démarche dont tu es désormais sûr, convaincu, grâce au jeune homme qui relâche doucement ton bras pour te le rendre.

Tu hoches la tête d’un mouvement bref lorsqu’il te répond que cela est possible et l’ombre d’un sourire prend naissance sur tes lèvres, à sa réflexion. Tu ne fais pas cela pour être beau mais tu apprécies le trait d’humour destiné, sans doute, à détendre l’atmosphère.

« A toi de me montrer que ce proverbe est vrai, dans ce cas. » réponds-tu d’une voix plus amusée qu’avant.  

La douleur, elle, ne te fait pas peur. Tu vis constamment avec elle, tu as fini par l’apprivoiser, ce n’est pas un problème. Tu doutes même qu’une aiguille et de l’encre te cause plus qu’un inconfort. Mais peut-être te trompes-tu, il n’y a qu’une seule façon de le savoir.  Tu baisses à nouveau tes yeux sur le modèle qui a retenu ton attention, comme pour t’assurer que c’est bien ce par quoi tu souhaites commencer. Tu hoches à nouveau la tête. Tu penses que oui. Que c’est le motif idéal. Il ne signifie pas grand chose, il est simple, un peu poétique peut-être, tu ne sais pas. Tu ne comptes pas te pavaner en le montrant à tout le monde, de toute façon. C’est, pour toi, une démarche personnelle et intime. L’assurance du tatoueur est une bonne dose de confiance. Il sait ce qu’il fait, il sait où il va. Tu as du mal à l’imaginer dans un autre élément que celui-ci, maintenant.

« Adjugé. » réponds-tu en finissant de boire ton café. Le goût du sucre mélangé à l’amertume te plaît décidément bien. Tu observes avec curiosité les gestes du tatoueur, la manière dont il cache le modèle que tu as choisi sur la planche avec une bande noire. « C’est le premier, oui. Je- … »

Tu te pauses un instant. En fait, tu n’avais pas réfléchi jusque là. Parfois, il faut sauter dans la gueule du loup pour prendre ses décisions. Ton regard s’attarde sur le reste de la boutique. Tu as parfois du mal à accepter ton humanité, à accepter que tes émotions font partie de toi, et sont normales, que tout le monde en ressent. Pour toi, elles coupent toute rationalité. Alors, admettre que tu appréhendes, que tu as un peu peur, ah, non. Tu ne peux pas.

« Peut-être peux-tu me décrire comment cela va se passer ? Quelles sont les étapes ? »

Si tu prends ça comme une démarche scientifique, peut-être que tu parviendras à mieux visualiser la manière dont le tatoueur compte s’y prendre. Tu imagines plus ou moins comment cela se passe, mais tu n’as pas fait de recherches approfondies sur la question. Il te suffit d’être là maintenant pour en apprendre davantage, après tout. La seule chose que tu ne désires pas, c’est d’enlever le gant de ta main droite. Le reste importe assez peu. Les aiguilles ne t’effraient pas, la douleur non plus. Alors tu ne sais pas ce que tu appréhendes tant. Ni pourquoi ton cœur s’agite dans ta poitrine.

« Quel est ton nom, d’ailleurs ? » demandes-tu de but en blanc. « Non pas que t’appeler Le tatoueur me dérange, mais ce serait tout de même mieux de savoir qui va me tatouer pour la première fois. » dis-tu d’une voix légèrement adoucie alors que tu te redresses lentement pour te mettre debout. « Tu peux m’appeler Viktor. »

by lilie

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Vos échanges sont fluides ; tu ne te faisais pas d’idée particulière sur les tatoueurs - tu ne te fais jamais vraiment d’idées sur les gens, en règle générale - mais tu ne savais pas à quoi t’attendre. Tu peux maintenant dire que tu n’es pas déçu, au contraire. Tu apprécies même votre discussion et tu te retrouves à sourire du bout des lèvres. Tu ne sais plus vraiment d’où tu viens, ni vraiment qui tu as été, mais tu peux affirmer avec certitude que tu n’aimes pas les fioritures, les gens qui font des manières et des courbettes, ceux qui regardent de haut, jugent sans connaître. Le tatoueur, lui, semble être quelqu’un d’honnête, de simple dans sa manière d’être, et cela te plaît. Tu fais en tout cas assez confiance à son professionnalisme pour lui poser des questions sans honte, ni crainte, ni même avoir l’impression d’avouer une faiblesse. Il ne semble d’ailleurs pas surpris par ta demande. D’autres que toi ont déjà dû demander la même chose avant de se lancer, ce n’est donc pas aussi étrange que tu aurais pu le penser. A ses explications, tu hoches légèrement la tête, tentes de visualiser un peu mieux ce qu’il se passera dans les prochaines minutes. Cela fonctionne plutôt car les explications concises sont efficaces. Quant au tatouage en lui-même, tu sais déjà à peu près comment cela se déroule.

Tu es, en tout cas, convaincu, et tu te lèves après avoir terminé ton café. Tu remercies le tatoueur d’un hochement de tête, alors qu’il débarrasse ta tasse alors que vous faites les présentations. Eddie, donc. Un prénom qui te permettra de l’appeler autrement que le tatoueur, ce qui reste relativement impersonnel. Tu n’as rien contre ça, l’impersonnel est aussi ce qui permet à l’esprit humain de se détacher des choses et des autres. Nommer un objet, un animal, une personne lui octroie une individualité, et augmente les risques d’empathie.

Tu secoues la tête d’un geste très bref pour dissoudre tes pensées. Cela fait déjà plusieurs jours que tu réfléchis de la sorte, sans que tu ne saches vraiment pourquoi. Ce désir d’arracher ces émotions humaines, couplé aux parties métalliques de ton corps qui, elles, ne le sont pas, te donne parfois l’impression trouble que les sentiments t’empêchent de réaliser quelque chose d’important. Mais tu ne sais pas quoi. Et, à vire dire, tu as peur de comprendre vraiment ce que cela signifie. Peut-être est-ce également pour cette raison là que tu t’es finalement arrêté devant cet endroit, aujourd’hui. Pour ne pas perdre de vue ton humanité, te réapproprier cette sensation - celle de ne pas être autre chose.

Tu emboîtes le pas d’Eddie, dans la boutique, et il te conduit jusqu’à un boxe où il t’invite à entrer. Tu avances de quelques pas et regardes autour de toi. L’endroit est juste assez grand pour se sentir à l’aise. Tes membres se détendent légèrement. Alors qu’il se prépare pour commencer les premières étapes dont il t’a parlé plus tôt, tu remontes la manche de ta chemise que tu enroules jusqu’à ton épaule pour dégager entièrement ton bras et ne pas risquer qu’elle ne vienne gêner la séance. Cela étant fait, l’étape la moins évidente pour toi est de t’installer quelque part. Tu appuies ta béquille contre le mur, non loin de la table de tatouage sur laquelle tu te hisses d’une impulsion calculée de ta jambe valide pour t’asseoir sur le rebord. So far, so good. Tu ne peux que faire confiance à Eddie pour la suite du processus et te laisses guider. Tu n’es, dans un premier temps, pas très à l’aise, tu dois bien le reconnaître. Tu poses tes yeux sur ce qu’il est en train de faire pour l’observer avec attention. Tu remarques, sans le dire à voix haute, que ses gestes sont précis. Il sait bel et bien ce qu’il fait.

« Tu as déjà eu beaucoup de clients ? » demandes-tu alors, non pas pour remettre en doute ses compétences car un peu ou beaucoup de clientèle cela ne change pas vraiment la donne, à tes yeux. Tu souhaites surtout faire la conversation (fait si rare, de ta part, qu’il traduit une nervosité que tu dissimules). Tu es dans une situation peu habituelle, avec quelqu’un qui manipule ton bras et s’apprête à y encrer un motif. Tu aimerais penser que ce n’est rien, mais ce n’est pas rien, dans le fond.

Lorsque vient alors le choix de la taille, tu penches légèrement la tête sur le côté en détaillant les motifs sur ton bras recouvert de plusieurs runes cicatrisées. Tu choisis l’une des deux, la moins grande, qui s’ajuste à peu près à ce que tu aurais pu imaginer pour un premier tatouage. Tu poses néanmoins ton regard sur Eddie, pour qu’il puisse confirmer, donner son avis sur la question, en tout cas.

by lilie