La colère, la trahison, l’amertume, la rancœur. Tant de choses constituent une personne, déterminent ses actes, ses ambitions, ses choix. Je suis né dans les profondeurs, les poumons encrassés dès la naissance par les vapeurs toxiques et les déchets d’une ville trop lumineuse qui nous surplombait, nous, peuple des bas fonds. Ma haine a pris racine très tôt, dans l’injustice et l’arrogance de ceux qui se croient supérieurs, nourrie par la mort putride qui m’a toujours entouré.

Je ne suis pas fort. Mais j’ai de l’esprit. Je me suis très rapidement lié à Vander, un homme aux poings d’acier qui fourmillait de la même passion, de la même colère. Nous voulions élever notre peuple. Prendre le dessus sur ceux qui nous avaient toujours méprisé, écrasé sans même nous adresser un regard. Et comme on ne peut gagner la guerre sans bain de sang, nous avons fait ce qu’il était nécessaire de faire sans regarder le désastre. Pour saisir ce pouvoir, il ne fallait s’arrêter devant rien. Une chose que Vander ne comprenait plus. C’est ainsi qu’il s’est détourné de moi. Qu’il m’a noyé dans ce lac aux vapeurs toxiques.

Vous êtes vous déjà demandé ce que l’on ressent, quand on se noie ?

L’eau qui emplit vos poumons, le cerveau qui, peu à peu, manque d’oxygène alors que vous regardez celui que vous considériez comme votre égal, comme votre frère - comme votre moitié - se détourner de vous à la surface. C’est ce sentiment d’abandon, cette douleur atroce, cette haine qui déchire tout, dévore tout, qui m’a permis de survivre là où mille autres seraient morts. Pour m’échapper, j’ai poignardé celui qui était en train de me tuer et me suis enfui, le visage ravagé par les produits toxiques et l’oeil inflammé.

Et pourtant je suis bel et bien  mort. Une partie de moi, la partie la plus faible, la plus sentimentale, s’est noyée dans ce lac, ne laissant que l’avidité dévorante de se venger de tous. L’ambition, la destruction et le pouvoir pour guider mes pas.
Vander se terrait comme un rat dans les profondeurs. Moi, je continuais de survivre et mettais en place les pièces d’un puzzle irréductible. J’ai engagé Singed pour transformer les membres de mon équipe et les rendre plus forts grâce à une drogue aux effets ravageurs.

Puis j’ai frappé là où ça fait mal pour asseoir ma domination sur Zaun - et élever mes forces contre Piltover. Malgré la rancoeur, j’ai essayé de rallier Vander à ma cause - en vain. Il en paya le prix de sa vie. Derrière lui, il laissa deux orphelines dont une enfant détruite, abandonnée par sa sœur aînée. Comment ne pas reconnaître en elle le désespoir qui m’avait moi-même déjà frappé ? C’est sous une pluie battante, au milieu des flammes, que j’ai décidé de la prendre sous mon aile et de l’élever comme ma fille.

On va leur montrer. On va leur montrer
                                                                                   Tu verras.

Les années passèrent. Sans Vander, il fallait quelqu’un pour guider Zaun et préparer les Voies vers la domination. Avec l’aide de Sevika et du Shimmer, je me suis naturellement imposé et ai établi mon QG à La Dernière Goutte. Il ne faut pas toujours une guerre pour prendre le pouvoir. Parfois, tout ce dont on a besoin, c’est d’une dose suffisante de peur. Et je comptais fournir à Piltover des raisons de craindre la Nation de Zaun.

Jinx était devenue ma fille et associée. Elle fabriquait mille et uns gadgets explosifs, son imagination n’avait aucune limite. Elle n’en faisait qu’à sa tête, mais cela avait parfois du bon. C’est elle qui me ramena ce que Piltover appelait Hextech. Une bille bleu qui renfermait une puissance incommensurable. Avec ça, nous avions moyen de faire pression sur Piltover - mieux, de détruire la Cité du Progrès et de rendre Zaun indépendante.

Tout ne se passa pas comme prévu. La sœur de Jinx, que je croyais disparue - ou morte - refit surface en compagnie d’une Pacificatrice. Je voulus l’éradiquer une bonne fois pour toute sans y parvenir et, ravalant ma frustration, fis face à la rancœur de Jinx qui, elle aussi, m’échappait peu à peu.

Lors d’un échange pour récupérer l’Hextech, Jinx fut mortellement blessée par l’une de ses explosions et je n’eus d’autres choix que de déployer des mesures exceptionnelles pour la sauver. Gavée de Shimmer, elle survécut à l’opération mais disparut dans la nature. Je n’eus pas le temps de partir à sa recherche car une attaque fut déclarée dans l’une des usines de fabrication de Shimmer. Du personnel avait été tué - dont un enfant qui travaillait là bas. La situation devenait de plus en plus délicate mais, à ma grande surprise, je reçus, de la part du Conseiller Talis, une proposition de négociation.

En échange de Jinx, il m’accordait l’indépendance de Zaun.

Tout ce dont j’avais toujours rêvé, là, dans le creux de ma main. Mais étais-je prêt à sacrifier Jinx pour cela ?

Non.

Et alors, je reçus un coup sur la tête.

A mon réveil, j’étais ligoté à une chaise et bâillonné. Jinx nous avait réuni, Vi, Caitlyn et moi, en proie à ses démons intérieurs, oscillant entre ce qu’elle était devenue et ce qu’elle avait un jour été. Je sentis alors s’éveiller en moi la véritable peur de la perdre, de me la faire arracher par cette guerrière de pacotille dans les idéaux ne construiraient rien de tangible. Alors que tout dégénérait, je tentai de récupérer une arme laissée sur la table pour tirer sur Vi. A ce geste, Jinx protégea sa sœur. Les balles m’atteignirent de plein fouet. Curieusement, ça ne fit presque pas mal.

La dernière image que je vis avant de fermer les yeux fut celle de ma fille, agenouillée devant moi en larmes.

Un réveil à l’hôpital. J’ai l’habitude de ces endroits mais cela ne veut pas dire que je les aime pour autant. C’est pourtant le premier souvenir que j’ai de Staten Island. Ils m’ont dit que j’avais fait un malaise, que l’hôpital de ce quartier avait été contacté. Je me demande toujours pourquoi celui-ci. De tous les hôpitaux de New York, il a fallu que ce soit lui, dans cette ville pourtant impossible à quitter. Etrange, d’accord, mais rien ne m’attend ailleurs, de toute façon ; si je suis venu à New York, dans un premier temps, c’était pour changer d’air. Staten Island n’était pas ma destination première mais, en sortant de l’hôpital, j’ai finalement bien aimé la ville, ses habitants, son ambiance. Je n’avais pas d’autre choix que de rester, mais pourquoi pas, après tout ?

Je viens d’une famille modeste qui vit en Pologne, je n’ai pas d’enfant, plus de femme, aucune attache, finalement. Rien qui me pousserait à quitter cet endroit pour retourner ailleurs. Je suis donc resté, j’ai pris le temps d’arriver, de m’installer. J’ai d’abord été serveur aux Maraudeurs, un bar plutôt fréquenté, avant de me lancer dans ma propre affaire : un Coffee Shop que j’ai baptisé The Last Drop et qui a ouvert ses portes à la fin du mois de Janvier. Une petite fierté personnelle que je prends la peine d’entretenir. En attendant de trouver du personnel, je fais tout moi-même, cela occupe tout mon temps - ce qui, entre nous, n’est pas pour me déplaire. J’habite juste en-dessus, dans un appartement ni trop petit, ni trop grand, en compagnie de mon chat, petit animal tout noir trouvé près d’une rivière et sauvé de la noyade. A présent, il ronronne sur les draps de mon lit et mets des poils sur tous mes vêtements propres. Ah ! Peu importe, il est plutôt mignon alors je lui pardonne tout.

Je pense que la vie ici a de quoi être douce et paisible.