Ionia avait tout pour plaire. Du moins, c'était ainsi que son père dépeignait leurs terres, telles qu'elles l'étaient au commencement. Lieu de rencontre entre le royaume des esprits et les royaumes mortels, Ionia regorgeait d'une magique plus sauvage que nulle part ailleurs et les vastayas, issus de ce chimérisme, prospéraient tant que la magie était libre.
Mais ce rêve que Xayah entretenait depuis ses jeunes années s'effrita avec le temps qui passait, car les pulsions colonialistes des humains les amenèrent à Ionia. Envieux de cette magie qu'ils craignaient d'autant, les mortels trouvèrent le moyen d'entraver la magie d'Ionia en la canalisant grâce à de monumentales constructions de pierres appelées quinlons. Ce barrage au flot naturel de magie entrava l'existence des Vastayas, limitant leurs pouvoirs, mais également leurs vies. Les tributs tentèrent de négocier avec les humains pour préserver leur prospérité, mais les mortels avides de pouvoir brisèrent tous les traités qui avaient été établis entre les espèces. Certaines tributs, comme les Lhotla (celle de Xayah), perdirent leurs terres. Mais Xayah refusa de se résigner à une éternité d'errance sans but. Les récits et les chants qui avaient bercé sa joyeuse enfance la hantaient désormais davantage qu'ils ne la faisaient rêver, mais ils lui donnaient un but : se battre pour ce qui appartenait aux Vastayas, pour leurs terres et leur avenir.
Elle s'enferma dans la haine de cette humanité destructrice et inconscientes. Car les mortels étaient éphémères et inconscients. Ils ne pouvaient observer, à leur échelle, les conséquences de leur avidité. Ils n'entendaient rien, ne cherchaient même pas à comprendre. Une seule vie humaine importait si peu ; c'était à peine le temps d'un battement de cils pour les Vastaya. Négocier était une perte de temps, alors Xayah rejoignit un mouvement de rébellion mais se lia peu à ses membres car elle était avant tout aigrie et solitaire. Elle avançait plus vite sans avoir à concilier les égos et les idées farfelues d'autres esprits.
Pourtant, ce fut spécifiquement un égo surdimensionné aux idées farfelues qui finit par retenir son attention : un mu'takl, autrement dit un vastaya réprouvé à cause de ses liens avec les humains. Cette frivolité et ces plumes flamboyantes entretenues avec trop de soin lui firent lever les yeux au ciel. N'avait-il aucune honte, rien de mieux à faire de chanter et danser pour divertir des humains ? Sa voix était jolie, certes, et elle devait lui reconnaitre un certain talent pour la danse, mais ô combien mal utilisés. Elle l'utilisa néanmoins sans même l'avertir, car la distraction qu'il était attirait l'oeil de tous les humains du coin. Elle n'eut aucun mal à passer inaperçue aux yeux des humains et à dérober ce qu'elle était venue voler. Les yeux du vastaya, en revanche, captèrent sa présence et il l'accosta sans délicatesse aucune, tout à sa tentative de drague ratée. Rakan, soit. Ce n'était pas son problème. Elle ne le connaissait pas. Elle aurait pu, pourtant, parce qu'elle savait de son physique et de sa magie qu'il était comme elle issu de la tribut Lhotla. Quelques vaines tentatives de drague supplémentaires plus tard, il lui demanda des nouvelles de leur tribut et l'ampleur de sa fureur (allant même jusqu'à entacher l'éclat de ses plumes dorées) lorsqu'elle lui apprit ce qu'ils étaient devenus la surpris. Elle aurait pensé un mu'takl moins concerné, avait compris cette question comme une simple politesse et non comme un véritable intérêt. Alors elle lui expliqua ses idées, sa rébellion, et Rakan lui demanda de le laisser l'accompagner. Elle finit par céder, mais pas seulement à sa requête : progressivement, elle céda à son humour, à son sourire, à ses manières, son enthousiasme, son énergie, sa magie, et elle sut qu'elle était foutue. Elle qui avait toujours clamé haut et fort qu'elle n'avait besoin de personne, aurait du mal à le revendiquer désormais.
Partenaires et amants, ils continuèrent à travailler de concert, soit en répondant aux appels à l'aide de différentes tributs, soit de leur propre chef et propagèrent l'idée qu'une révolte était possible. D'une certaine manière, les humains les y aidèrent. Car si Xayah admirait quelque chose chez les humains, c'était leur capacité à s'auto-détruire et à massacrer leurs semblables. L'invasion de Noxus retourna la sensation de paix que les humains avaient ressenti jusque là. Les Noxiens n'étaient pas plus respectueux que les humains qui les précédaient, mais il était difficile de ne pas profiter de ce conflit, ne serait-ce que pour apprendre à retourner les armes des humains contre eux. Xayah s'intéressa à tout ce qu'elle pouvait utiliser contre eux quand Rakan, trop dispersé, continuait d'exécuter ses plans qu'il ne comprenait jamais.
Un jour, ils furent missionnés pour récupérer un quinlon. Détourné de sa fonction initiale par l'Ordre des Ombres, les mages qui l'entretenaient en avaient perdu le contrôle et le quinlon pervertissait la magie de la région. Xayah refusa : le quinlon était un artefact humain utilisé contre eux, elle ne se mêlerait pas des querelles des humains. Si elle devait faire quelque chose, elle détruirait le quinlon corrompu. Sa quête ne fut pas chose aisée, car si Rakan détourna habillement l'attention des gardes, un mage de l'Ordre des Ombres n'était pas tombé sous le charme de ses plumes distrayantes. Xayah, affaiblie par la force du quinlon qui absorbait sa magie, comprit vite que le guerrier des Ombres ne pouvait rester sa cible. Elle détruirait ce quinlon, qu'elle cribla de ses plumes magiques. Elle ferma et ouvrit la main, rappelant ses plumes qui firent exploser les rochers au dessus de leur tête. Et tant pis s'ils lui tombaient dessus. A vrai dire, c'était son but. Elle n'arriverait pas à vaincre le guerrier des Ombres, alors elle l'enterrerait avec lui.
Rakan en décida autrement. Alors qu'elle pensa une dernière fois qu'elle ne le reverrait plus, il la rejoignit enfin et invoqua autour d'eux un bouclier de magie. Mais la force des rochers eurent raison de celles qu'il restait à son amant et ils sombrèrent tous les deux dans l’inconscience.

Son mutisme ne fut pas interprété comme de la défiance, mais comme de la peur, ou de l'ignorance. C'était sans doute un mélange des trois. Ça, et le fait qu'elle n'avait jamais aussi mal compris la langue des humains, qu'elle parlait pourtant aussi bien que l'ancien Vastaya à Ionia. Sans aucune idée d'où on venait de l'amener, seule sans aucune confiance dans les humains qui l'entouraient, elle ne collaborerait pas. Pas tant qu'elle était aussi faible, pas tant qu'on ne lui avait pas rendu son amant. Elle refusait de considérer qu'il était peut-être mort. La simple idée de le mettre en danger l'avait toujours tendue, mais il s'en était toujours sorti, il avait toujours été partant pour tout. Aujourd'hui, il n'était plus là, mais elle n'était pas non plus là où elle l'avait laissé. Pourquoi l'aurait-on déplacée, elle, et pas lui, s'il n'était pas mort ? L'Ordre des Ombres avait une utilité pour toutes les âmes, mortes ou vivantes. On l'avait jetée dans un bâtiment clairement humain,  mais maintenant qu'elle y était, personne n'avait l'air de la garder prisonnière, pas ouvertement. Ou était-ce si évident qu'elle ne représentait aucune menace ? Elle était aussi faible que lorsqu'elle s'était battue sous le quinlon. Il n'en restait rien, elle aurait dû récupérer ses forces et sa magie. Elle la sentait pourtant, mais comme bridée, étouffée par le poids d'un environnement auquel elle n'était pas acclimatée. La magie de l'endroit se ressentait dans les moindres recoins de la pièce, mais cette magie était différente. Sans doute Rakan aurait pu l'apprécier, car il était moins réfractaire qu'elle au changement, mais sans lui, était-elle condamnée à rester une petite humaine qui tenait difficilement debout ? Ses jambes, même assise sur cette chaise inconfortable, lui semblaient lourdes et vides. Xayah se sentait malade et épuisée. Elle n'oserait même pas façonner une seule dague de plume, diminuée à ce point. Ou changer d'apparence, même si celle qu'elle voyait dans la vitre l'horrifiait : elle était tellement humaine. Des cheveux blonds ou châtains, des yeux plus marrons ou verts que leur jaune habituels, des pupilles rondes, des pieds, de toutes petites oreilles humaines, les arabesques sont ses yeux avaient disparu pour laisser place à de larges cernes noires, ses lèvres étaient d'un rose très humain et ennuyant. Plus aucune autre plume que celles de sa cape inerte, roulée en boule sur ses genoux. Elle ne sentait même plus ses plumes, ou à peine, comme le râle lointain d'une magie en souffrance. Ni même la présence de Rakan dans les trois plumes qu'il lui restait de lui. Ce constat lui serra la gorge. Elle ne s'y ferait pas.

Et elle ne s'y fit pas, mais dut pourtant tenter de s'adapter. Ironie du sort, elle avait toujours moins de mal à s'adapter aux créations des humains que Rakan, quand il leur était tellement plus ouvert. Faire profil bas, le temps de refaire ses forces qu'elle peinait à rassembler. Aux yeux des autres, elle donnait simplement l'impression d'avoir la santé particulièrement fragile. Elle avait remarqué que les émotions l'épuisaient, car elles agitaient en elle une magie si faible et tellement en conflit avec la magie de ce monde qu'elle en souffrait davantage, même voir ses cheveux rougir, entre autres légers détails qui ses émotions ramenaient à la surface, la faisait toujours sourire. Elle sentait pourtant que son état venait de son conflit avec la magie de Staten Island, mais elle s'évertuait à ne pas l'accepter. Que serait-elle, autrement ? Une simple mage supplémentaire qui exploiterait sans permission une magie qui n'était pas la sienne ? Son égo et sa morale lui interdisaient de se comporter ici comme les humains à Ionia. Elle était là, et c'était déjà trop. Faible comme elle était, impensable de tenter quelque chose, alors elle prit la décision de se fondre dans la masse, de trouver un travail qui n'impliquait pas trop de contact avec les humains. Les animaux donc, victimes de choix des êtres humains pour leur vulnérabilité, elle ne pouvait souffrir la manière dont ils étaient traités. Et de nuit, parce que les humains dorment la nuit, en général.
Alors elle attend, tente de reprendre des forces, cherche Rakan. Elle n'a plus que le temps de son côté, de toute façon, autant le prendre.

Sa cape de plumes violettes semblable à une aile, partie d'elle liée à sa magie. Pour l'instant complètement inerte à cause de ses capacités dans les chaussettes, Xayah arrive à peine à les sentir.

Un crâne d'oiseau qu'elle gardait attaché autour de son cou grâce à une corde, crâne dans lequel étaient plantées trois longues plumes dorées. Si elle a perdu la corde aujourd'hui, elle a conservé le crâne et les plumes.