Welcome home !

Une colocation ! A cette simple idée, Noé n’avait pas dormi de la nuit (ou très peu). Marisa et lui s’étaient rencontrés il y a quelque temps, un peu par hasard, parce qu’ils n’habitaient pas trop loin l’un de l’autre et parce que leur métier les avaient un jour poussés à se croiser. Un brin de femme très sympathique, cette Marisa, avec laquelle Noé avait très rapidement tissé des liens amicaux - et puis, à un moment, le sujet de la conversation avait dérivé sur cette fameuse colocation. Les chambres vides, dans la maison de Marisa, et la propre solitude de Noé dans cet appartement trop grand normalement prévu pour deux. Puisqu’ils avaient tous les deux été désertés par leurs anciens camarades, il paraissait à présent normal de s’allier dans l’adversité. Ce fut ainsi que, très rapidement, le jeune homme enthousiaste avait réglé les différents détails pour quitter son logement actuel et se préparer ainsi à un nouvel emménagement. Malgré une apparente énergie débordante (que beaucoup comparaient à l’attitude d’un chien fou), Noé était quelqu’un d’organisé. Il avait donc trié et rangé ses affaires dans plusieurs cartons : de l’argenterie (deux fourchettes et une cuillère à soupe uniquement) au linge de maison, de ses vêtements à sa console de jeu, de quelques denrées alimentaires à une collection de livres divers, et quelques autres affaires (celles qui finissent toujours par s’entasser sans même que l’on s’en rende compte). Noé n’était pas quelqu’un de particulièrement matérialiste, il s’attachait simplement à certains objets de manière peut-être trop sentimentale.

Les cartons s’entassaient dans le hall d’entrée et dans le salon. Marisa avait proposé de passer dans la matinée pour lui filer un coup de main et Noé attendait ce moment dans un sommeil agité entrecoupé de réveils. Et c’est finalement assez tôt qu’il finit par se lever. Dehors, il faisait encore presque nuit ; l’aube blanchissait à peine le ciel derrière les immeubles plongés dans l’obscurité. Il fit chauffer un peu d’eau pour se faire un thé et passa à nouveau en revue les cartons et les objets de son domicile. En partant, son ancien colocataire avait laissé quelques petites choses dont il n’avait jamais su quoi faire, il les avait mis dans une boîte à part (peut-être reviendrait-il les réclamer un jour : on ne savait jamais). Cet appartement avait marqué un tournant dans sa vie de jeune adulte, un nouveau départ après ses études. Il était un brin nostalgique à l’idée de déjà partir, après quelques mois seulement d’habitation, mais, d’un autre côté, il avait terriblement hâte de se retrouver chez Marisa (qui serait bientôt chez lui aussi). La solitude pesait beaucoup sur ses épaules, lui qui ne supportait pas de se retrouver avec lui-même sur d’aussi longues périodes. Il avait pris l’habitude de mettre un bruit de fond constant, lorsqu’il rentrait le soir sans pouvoir échapper à cet appartement désert. Alors, oui, une nouvelle colocation ne pouvait que lui faire plaisir, l'enthousiasmer.  

Lorsque des coups retentirent contre la porte, il était encore tôt, mais Noé n’en fut pas gêné - au contraire. Il s’élança vers la porte et l’ouvrit, une tasse de thé dans une main, un cadre photo dans l’autre. Il écarta les bras pour accueillir marisa d’une étreinte.

« Bonjour, bonjour !! » s’exclama-t-il. « Et comment, que je suis prêt ! » ajouta-t-il dans un rire avant de se décaler pour lui laisser la place d’entrer dans le hall encombré de cartons. « Oups, pardon, il va falloir enjamber deux ou trois trucs ! » dit-il avant d’aller dans le salon. « Je te sers un café, un thé, un chocolat ? Je dois même avoir des céréales si tu n’as pas encore déjeuner… Hem… Haha, je crois qu’en fait tout est déjà rangé, à part le thé… Désolé ! » Noé fit une petite moue avant d’enchaîner avec son habituel rire tonitruant  : « Tu es tombée du lit, on dirait ! Mais je suis aussi coupable que toi, alors je ne peux vraiment rien dire ! Merci de me filer un coup de main, by the way. » finit-il par dire en levant le pouce en l’air et en faisant un clin d'œil à sa complice. « J’ai trop hâte ! »

Et Noé était sincère - si sincère, même, que ses joues commençaient à devenir douloureuses à force de sourire. Il posa sa tasse et le cadre photo (un poisson qu’il avait lui-même photographié dans les eaux de Staten Island) sur le plan de travail et posa ses mains sur les hanches après avoir retroussé ses manches.

« On a du boulot, c’est sûr, mais la journée sera incroyable, je le sens ! Passée en ta merveilleuse compagnie, et pour un nouveau départ génialissime ! Et toi, alors, tu es prête ? »

Welcome home !

Chez nous. C’est une idée qui plaisait à Noé, un concept avec lequel il se sentait de plus en plus à l’aise (et de plus en plus enthousiaste). Il hocha donc vigoureusement la tête : le temps n’allait pas leur manquer pour partager un déjeuner, de toute façon. Le jeune homme se dépêcha d’avaler son café et prit le temps de rincer sa tasse avant de l’emballer dans le carton “vaisselle” (inscrit au marqueur rouge : sa couleur préférée, celle qui lui portait chance). Il se tourna ensuite vers Marisa avec son habituel sourire confiant et déterminé. Il aimait beaucoup ça, chez la jeune femme, la manière naturelle qu’elle avait de toujours proposer son aide, de prêter main forte comme si de rien n’était, avec bonne humeur. Tu avais tout de suite remarqué que vous vous ressembliez beaucoup sur ce point, et tu avais rapidement eu l’impression que vous parveniez facilement à vous comprendre.

« La norme n’est pas toujours établie de la même manière pour tout le monde, tu sais, de plus un remerciement n’est jamais de trop, et les miens sont sincères ! Je te suis vraiment très reconnaissant de me faire assez confiance pour partager une coloc’, et de t’être proposée pour venir m’aider. Un déménagement, c’est fun, mais c’est encore mieux en bonne compagnie ! BREF. Tu as saisi l’idée ! Je voulais juste que tu le saches : merci beaucoup, Marisa ! » acheva-t-il enfin de dire de son air enjoué.

Lorsqu'elle mentionna la pluie, Noé croisa les doigts. Bon sang, oui, il espérait qu'il ne se mette pas à pleuvoir ! Il n'avait pas prévu de camion, pour le déménagement (et n'avait de toute façon pas le permis de conduire, et puis pour quelques minutes de marche, il n'avait pas vu l'intérêt). Pour l'instant, il faisait beau (pour les critères d'une journée hivernale). Le jeune homme espéra que sa bonne étoile ne lui ferait pas défaut aujourd'hui ; dans le pire des cas, ils pourraient toujours faire une pause en attendant que le temps se calme.

Par quoi commencer, en effet ? Noé regarda autour de lui, les sourcils légèrement froncés avant de hocher la tête. Il préférait qu’ils commencent par les cartons. Ce serait plus rapide à transporter et ils pourraient ensuite s’occuper des quelques meubles à déménager (certains resteraient dans le logement, d’autres, ceux qu’il avait acheté, venaient avec lui). Alors qu’il s’apprêtait à proposer de commencer par un ordre précis, Marisa commença à en attraper certains (plusieurs… Beaucoup) pour les empiler dans ses bras comme s’il ne s’agissait que de plumes. Noé entrouvrit la bouche, haussa les sourcils. Elle n’avait vraiment pas l’air de devoir faire beaucoup d’effort. Il savait pourtant bien que certains d’entre eux n’étaient pas légers et contenaient pas mal de bricoles.

« Oh, waw… ! » souffla-t-il avant de s’exclamer : « T’es incroyable ! »

Il savait que son amie avait une certaine force, avait déjà pu le constater, mais pas à ce point. Son sourire s’élargit. Pour un déménagement, voilà qui était TRÈS pratique ! Mais il n’allait pas lui laisser faire tout le travail. Plus modeste, Noé s’empara de trois cartons. Sa grande taille, si elle était parfois dérangeante pour certaines tâches quotidiennes, lui permettait au moins d’avoir un peu de force et d’avoir plus de place que la moyenne dans ses bras. Ils sortirent rapidement de l’appartement et Marisa referma la porte derrière eux avant d’ouvrir la marche sous la faible lueur matinale. Le cœur plus léger que le poids dans ses bras, le sourire de Noé ne put que s’agrandir à la mention de sa future chambre.

« Ah oui, ça c’est génial ! C’est ce qu’on appelle les privilèges du premier arrivé, non ? » dit-il en riant. « Mais je suis certain qu’elles sont toutes superbes et que ce sera difficile de choisir ! Tu crois que d’autres colocataires nous rejoindront bientôt ? Ce serait vraiment top ! Je suis déjà super content de ne plus être tout seul, si tu savais ! Hé, je ne t’ai même pas demandé ce qu’il s’était passé avec tes anciens coloc’, ils ont tous trouvé autre chose ? » demanda-t-il en gambadant à côté de Marisa.

Ils ne mirent pas bien longtemps avant d’atteindre la fameuse maison de Marisa (très prochainement leur maison).

Welcome home !

Le début de matinée était clair, le ciel dégagé. Bien sûr, en cette saison, les températures n’étaient jamais clémentes, mais la bonne humeur et l’enthousiasme des deux amis suffisaient à chasser le froid dans leur effort combiné. Lorsqu’ils eurent fini leur premier trajet, plusieurs cartons encombraient déjà le salon. Noé tourna un peu sur lui-même. C’était son nouveau chez-lui, et il l’aimait déjà ; les poutres apparentes au plafond donnaient un charme tout particulier au lieu, quelque chose d’un peu rustique et chic tout à la fois. A cette pensée, un nouveau sourire naquit sur ses lèvres et il se tourna vers Marisa, le pouce en l’air. Il s’en accommoderait parfaitement. Noé n’était pas quelqu’un d’exigeant, pas quelqu’un pour qui la décoration importait, pas quelqu’un qui chipoter sur des détails inutiles. Il se laissait vivre au rythme des autres, s’adaptait comme un poisson dans l’eau. Pour lui, ce qui comptait surtout, c’était l’âme d’un lieu. Son atmosphère. Et cette maison respirait la bonne humeur, la joie de vivre, illuminée par la présence de Marisa et par son sourire. Quoiqu’il soit arrivé, quelles que soient les personnes à être venues puis reparties, ces murs abritaient une histoire fabuleuse, marquée par chaque individu y ayant laissé la trace de son passage.

« Ce sont les personnes qui marquent les lieux de leur histoire. Cet endroit a toujours respiré la gaieté, et nous veillerons à ce que ça continue ! » affirma-t-il avec un sourire en se tournant vers son amie. Sensible aux humeurs des autres, il savait à quel point Marisa avait été marquée par le départ des uns et des autres. Ce n’est jamais facile de voir les gens partir, après tout. Enfin, Noé n’en savait pas grand-chose, il n’avait, dans sa vie, jamais vécu le moindre drame, le moindre déchirement (rien d’important, en tout cas). Il était donc de son devoir de soutenir ceux qui traversaient des périodes un peu moins joyeuses, non ? « Tu vas vite regretter ta solitude ! » s'esclaffa-t-il de son rire puissant.

Marisa entreprit alors de lui faire visiter les lieux plus en détails, comme on le fait lorsqu’on montre à quelqu’un l’endroit où il va désormais vivre. Noé essaya de prêter attention aux détails, mais son esprit allait d’une idée à l’autre et il avait du mal à se concentrer. Alors qu’elle lui montrait la cuisine, il pensait au sandwich de son ancien colocataire qui avait longtemps traîné dans un coin de son frigo, tant et si bien que des asticot avaient fini par y élire domicile et qu’il avait dû le jeter avec des gants. Lorsqu’ils entrèrent dans la salle de bain, il se demanda s’il avait pensé à couper l’arrivée d’eau, à son ancien appartement, il ne voulait pas que le propriétaire le réprimande (et pour quelqu’un travaillant dans l’étude de l’environnement, quelle attitude irresponsable !) Tant et si bien qu’il suivit les présentations de manière décousue - mais il fit de son mieux.

C’est lorsqu’ils commencèrent à visiter les chambres que Noé réussit à se focaliser un peu plus. Il observa la chambre de Marisa avec un sourire ; elle lui correspondait bien, et il ne put s’empêcher de pousser une exclamation enthousiaste à la vue des peluches. « Oh ! Elles sont adorables ! » ne put-il s’empêcher de dire en riant. Lui-même avait une petite peluche, dans ses affaires, ce qu’on pourrait qualifier de doudou ; une vieillerie qu’il avait trouvé dans un vide grenier et qu’il s’était fait une joie d’adopter. Un petit requin tout doux avec lequel il dormait. Lorsqu’ils entrèrent dans les autres chambres, une seule retint son attention. C’était celle qui se trouvait au début du couloir. Les murs avaient une belle couleur corail et la fenêtre donnait sur un coin de la terrasse du jardin. Ce ne serait pas la chambre la plus calme, ni la plus silencieuse, mais c’est cette idée-là qui te plaisait.

« J’aime vraiment beaucoup l’atmosphère de celle-ci ! Je vois déjà comment aménager ça… Et j’aimerais bien entendre un peu la vie de la maison, alors… Ouais, je pense que celle-ci est parfaite ! » s’exclama-t-il en se retournant vers Marisa. « J’adore !! C’est clair que l’endroit est grand, et quand les lieux seront remplis, il sera plein de vie. Pour la déco et tout… Oh, tu sais, je suis pas un mec pénible. Et je sais pas si j’ai beaucoup de goût, mais si jamais j’ai des idées, je n’hésiterais pas à t’en parler ! …. En fait… J’ai peut-être une requête ! » dit-il, avec un petit sourire, les yeux plein d’espoir.

Il n’avait pas pu s’empêcher d’imaginer, en la suivant dans le salon, la présence d’un aquarium. Il adorait les poissons, ses animaux favoris, et il n’avait jamais pris le temps d’y songer entre ses études, son nouveau travail, son ancienne colocation mais… Ici, il arrivait à se l’imaginer. Pas un immense aquarium, juste ce qu’il fallait pour permettre aux poissons de ne pas tourner en rond, de ne pas s’ennuyer. Noé s’y connaissait, en la matière, il saurait en prendre soin, faire en sorte qu’ils soient heureux, ne manquent de rien.

« Je me demandais si tu serais tentée, à l’avenir, par un aquarium pour des petits poissons ? Il faudrait que j’étudie un peu plus la question pour trouver l’endroit parfait : pas trop lumineux non plus, relativement calme, proche d’une prise électrique pour un filtre et tout ça mais… Enfin, c’est juste une idée comme ça, on a tout le temps du monde pour en reparler ! Ça ne s’organise pas comme ça ! Ça m'y a juste fait penser. J’adore les poissons ! »

Il secoua légèrement la tête avant de se frotter les mains et de prendre quelques cartons déposés dans le salon pour les déplacer dans la chambre qu’il avait choisie, déjà prêt pour un second round dès que Marisa serait opérationnelle elle aussi. Maintenant qu’il était vraiment là, il avait tout simplement hâte de vraiment s’installer.  

Welcome home !

C’est vrai, avoir un animal de compagnie c’est quelque chose qui se réfléchit, qui ne se fait pas sur un coup de tête, et Noé était content de savoir que sa future colocataire faisait partie de ces personnes-là. Ces personnes qui ne prennent pas ça à la légère. Il sourit et hocha la tête, lui faisant comprendre qu’il partageait son opinion, avant de continuer la visite avec elle. Son choix s’arrêta sur la chambre qui lui plut le plus, dans laquelle il savait qu’il se sentirait le plus à l’aise, bien qu’en vérité tout aurait pu lui convenir… Mais puisqu’il avait le choix, oui, cette chambre serait la sienne.
Lorsqu’il évoqua l’idée d’un aquarium, l’idée enthousiasme aussitôt Marisa et un nouveau sourire vint lui décrocher la mâchoire. Cette idée, cette envie, il l’avait depuis un moment. Depuis qu’il avait terminé ses études ici, à vrai dire. Il adorait les poissons, la faune et la flore marine, et participait activement à leur préservation sur l’île. Il prendrait grand soin d’un aquarium, s’ils en installaient finalement un, et il savait aussi à quel point cela pouvait être apaisant, dans une pièce. Les poissons ne manqueraient de rien, Noé veillerait à ce qu’ils soient parfaitement heureux.

« Super !! On en reparlera plus tard, si ça te tente, mais je suis content que l’idée te plaise !! Tu verras, un aquarium, c’est très apaisant dans un intérieur, et les poissons sont vraiment très beaux, lorsqu’ils nagent ! Enfin breeeeef, on a encore pas mal de trucs à faire ! Je te ferai un exposé plus tard, hahaha ! »

Il firent ensuite un autre aller-retour chez son ancien chez lui, afin de prendre quelques affaires supplémentaires - Marisa les bras toujours chargés de beaucoup plus de cartons que lui, bien sûr.

« Oui, complètement ! C’est vrai que je n’y étais même pas entré avant aujourd’hui, IMAGINE … »

Noé éclata de rire. La fougue de la jeunesse, sans doute (la fougue et l’enthousiasme). Ils avaient vraiment fait ça sur un coup de tête, parce qu’ils s’étaient toujours bien entendu, que lorsque l’idée était tombée entre eux, ils s’étaient aussitôt emballés, avaient commencé à planifier tout ça avant même que Noé n’ait envoyé sa lettre de résiliation pour son bail. Bref. Un vrai coup de tête. Mais, au final, un coup de cœur.

« La maison me plaît, mais je ne t’imaginais pas vivre dans un taudis, donc, je n’étais pas si inquiet que ça… Pour ne pas dire que je n’y ai pas pensé une seule seconde. Mais j’adore ! Je pense que ce sera parfait ! Une super colocation ! Encore plus quand les deux autres chambres seront remplies ! Mais en attendant, ouais, je suis conquis. »

Noé était toujours sincère et entier dans ses propos. Il parlait parfois beaucoup, mais toujours avec son cœur. On ne pourrait sans doute jamais lui arracher cette touchante honnêteté. Comme un enfant, il disait les choses comme elles lui venaient. C’est ainsi qu’il fallait vivre sa vie, selon lui, afin de n’avoir aucun regret. Les cartons finirent d’ailleurs par s’entasser dans la maison de Luisa. Heureusement, Noé n’avait pas énormément de choses bien à lui. Ils firent donc rapidement le tour. Il n’avait pas encore de lit donc, pour l’instant, il dormirait sur un matelas gonflable dans sa nouvelle chambre en attendant d’être livré de quelques meubles. Mais cela ne le dérangeait pas, c’était comme faire du camping, en quelque sorte !

Quand tout fut finalement là, Noé fit craquer son dos et poussa un soupir. Demain, il ne lui resterait plus qu’à retourner dans son ancien appartement faire un brin de ménage et rendre les clés au propriétaire … Et une nouvelle histoire pourrait alors commencer.

« C’était plus rapide que prévu ! Heureusement que je n’avais pas grand chose, finalement. Les meubles seront livrés au fur et à mesure, je ferai en sorte d’être là pour les réceptionner. »

Il poussa un soupir et s’affala sur un de ses cartons.

« T’as été d’une grande aide, merci beaucoup, Marisa ! Tous les cartons que tu as pris à chaque fois… Hahaha ! Tu es la meilleure ! Si tu veux, pour déjeuner, on peut commander quelque chose à manger. Je t’invite ! »

Welcome home !

Dans cette maison, Noé ne pouvait que se projeter. Maintenant que tous ses cartons étaient là, le déménagement devenait enfin concret et il ne cessait de sourire d’une oreille à l’autre. Un chez lui à partager avec une autre personne, c’était incroyable après ces longs mois de solitude dans cet appartement tristement désert. L’endroit était accueillant, chaleureux, et il ne faisait aucun doute qu’ils allaient partager de très bons moments ensemble. Marisa était une amie en or, le genre de personne avec qui on aime forcément passer du temps ! La vie reprenait toutes ses couleurs, tout son éclat, et ça lui faisait du bien, à Noé. Un bien fou !

« Oh, non, non ! Ça me ferait vraiment plaisir de t’inviter ! Tu m’as donné un super coup de main, c’est vraiment normal ! » s’exclama-t-il avec un sourire en se redressant pour attraper son téléphone et ouvrir une application pour commander à manger.

Après un bon repas, il passerait sans doute l’après-midi à déballer ses cartons pour ranger ses affaires dans sa nouvelle chambre, et aussi dans la cuisine - car il avait une ou deux choses quand même. Il faudra aussi qu’il pense à demander à son amie son avis sur les jeux vidéos car il avait pris sa console mais ne souhaitait pas la brancher dans le salon si cela l’embêtait. Elle serait aussi bien dans sa chambre, si tel était le cas !  

« Oh, moi je suis végétalien, j’évite tout ce qui est à base de viande et de poisson, mais ça m’est égal si les autres en consomment : chacun vit sa vie comme il l’entend !  Donc peu importe le restaurant, généralement ils ont toujours un ou deux plats végé, de toute façon. Et je ne suis pas bien difficile, je mange aussi bien de la pizza et des pâtes que de la salade et de la soupe ! Enfin, aujourd’hui, je ne sais pas toi, mais je ne serais pas contre quelque chose d’un peu consistant après cette matinée bien chargée ! Tu aimes les bagels ? Je connais une super adresse qui en font pour tous les goûts, et ils sont super copieux ! Ils font même un menu de type brunch pour deux personnes, ce serait pas mal, ça ! »

Sur ces mots, il tapa l’adresse sur son téléphone en attendant d’avoir l’avis de son amie sur la question. Peu importe, lui, tout lui convenait ! Il était même prêt à tester de nouveaux goûts inconnus ; il était du genre à toujours commander les plats les plus bizarres sur la carte, Noé, c’était presque un challenge personnel.  

« Avec grand plaisir, pour le thé ! » déclara Noé en finalisant la commande sur laquelle ils s’étaient mis d’accord. Il rangea ensuite son téléphone dans la poche de son jean, sur mode vibreur, en attendant que leurs plats arrivent. Il s’approcha du comptoir de la cuisine, prêt à l’aider à préparer le thé si nécessaire. « Bien sûr, » dit-il lorsqu’elle lui posa la question. Il ne savait pas de quoi elle souhaitait lui parler, mais ça semblait être un sujet important, un sujet qui lui tenait à cœur. Noé lui adressa un sourire plus doux que les précédents. « Tu peux me parler de ce que tu veux, quand tu veux ! » lui assura-t-il en hochant la tête avec assurance.

Il avait toujours une oreille attentive pour les autres, d’autant plus pour ses amis, et d’autant plus pour les personnes qu’il considérait comme une petite famille. Noé n’était pas le genre à s'effaroucher pour rien, de toute façon. Il était quelqu’un de difficilement impressionnable, quand cela touchait à des sujets personnels ou sensibles ; il prenait toujours les choses de manière positive et essayait de dégager des solutions lorsqu’on lui présentait un problème. Et il appréciait beaucoup Marisa, il serait donc d’autant plus présent pour elle, quel que soit le sujet dont elle voulait discuter avec lui.

Welcome home !

Les bagels végétaliens une fois commandés, Noé posa son téléphone devant lui, sur le comptoir de la cuisine, alors que Marisa s’apprêtait à faire du thé. Il aimait déjà bien la manière dont ils fonctionnaient, dont ils avaient de s’entendre même sur des petits détails. Cette histoire de plat, pour commencer, et la gentillesse enthousiaste dont elle avait fait preuve en lui proposant de partager quelque chose, par exemple. C’était peut-être rien mais, pour Noé, c’était pourtant très significatif. Il souriait donc d’une oreille à l’autre et s’assit sur un tabouret. L’atmosphère se tendit très légèrement lorsqu’elle lui soumit le besoin de lui parler de quelque chose, ce à quoi Noé ne pouvait qu’être attentif, étouffant sa curiosité derrière un sourire. Elle lui en parlerait quand elle voudrait, il ne fallait pas qu’elle se sente obligé de le faire dans la seconde, mais il tenait à mettre en avant que, quel que soit le sujet, il serait à l’écoute et présent pour elle. Parce qu’elle était son amie, et que l’amitié était, pour lui, une notion très importante.

Mais Marisa semblait hésiter, et Noé ne trouva pas quoi dire tout de suite, sur le coup, sentant bien la détresse nerveuse de son amie. Il se mordit légèrement la lèvre inférieure et se redressa un peu, prêt à désamorcer la situation avec une petite blague, ou même en lui confiant quelque chose avant, pour qu’elle se sente peut-être plus à l’aise, mais, alors, elle se mit à lui parler. L’eau chauffait doucement dans la bouilloire pendant qu’elle lui expliquait la chose étrange qui lui était arrivée. Et, ok, wow. Noé avait entendu dire que ce n’était pas rare mais il n’imaginait pas le déboussolement que cela avait dû causer à son amie. Des certitudes qui volent en éclats, une réalité incertaine. Noé fronça alors très légèrement les sourcils, ce ne devait pas être simple, pour ton amie. Pas simple du tout. Et lorsqu’elle commença à formuler des excuses, Noé se leva pour contourner le comptoir et lui faire face. Il posa ses deux mains sur ses épaules, réconfortant, un sourire aux lèvres.

« Ce doit être très perturbant, je ne peux même pas imaginer … Mais…  Je te crois. » parce que c’est ce qui semblait important à dire, pour commencer. « Je te crois, d’autant que c’est quelque chose qui arrive à d’autres, ici, j’en ai déjà entendu parler. Mais tu es qui tu es malgré tout, cela ne change pas ce fait ! … Tu restes mon amie, une très chouette personne ! » Une affirmation, comme un cri du cœur, alors que ta main droite caressait de bas en haut le bras de Luisa. « Enchanté, Luisa Madrigal !! C’est un merveilleux prénom !! » un rire s’échappa de ses lèvres alors qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire. Parce que oui, c’était bel et bien un merveilleux prénom, plein de promesses, de forces et de bienveillance.  

Peu importe un nom, cela ne change pas fondamentalement une personne. Quant à ses souvenirs… Il faudrait probablement qu’elle ne fasse lentement le trie, qu’elle se recentre sur elle-même et démêle le vrai du faux. Mais ce serait sa démarche personnelle, bien sûr ; Noé, lui, voulait simplement aider autant que possible, l’accompagner au mieux si elle le désirait. N’était-ce pas là le rôle d’un grand-frère !? Il l’attira contre lui, dans une étreinte amicale et fraternelle. Une force et une affection qu’il tenta de lui transmettre à travers ce simple geste, une assurance, une confiance et un optimisme à toute épreuve, aussi.  

« T’en fais pas ! Je suis sûr que c’est encore plus chouette d’être Luisa ! Qui sait ? Haha ! » Il la relâcha doucement en lui adressant un sourire. Il était heureux qu’elle ait voulu se confier à lui, lui donner l’identité dont elle se souvenait aujourd’hui. Il lui fit un clin d'œil, un encouragement silencieux.  « Tu te souviens d’autre chose, ou seulement de ton prénom ? »

Welcome home !

Ce devait être curieux, cet entre-deux, le fait de ne pas vraiment savoir sur quel pied danser. Se souvenir sans vraiment se souvenir. Savoir que les informations étaient incomplètes. Noé hocha la tête et poussa un long soupir. Aaaaah, quelle prise de tête pour sa pauvre amie, il aurait préféré qu’elle ne passe pas par là ! Il s’installa sur l’un des tabourets, autour du bar de la cuisine, et remercia Luisa d’un large sourire lorsqu’elle remplit les deux tasses d’eau chaude. Il comprenait ses craintes, dans son cas, il aurait sans doute eu les mêmes craintes qu’elle. Changer ainsi de prénom, comme ça… Ah, mais Noé ne pouvait pas vraiment savoir, il ne pouvait qu’imaginer.

« Tu sais, même s’il n’y avait pas eu ce truc, avec ta mémoire, que tu avais simplement voulu changer de prénom parce que Luisa te plaisait mieux, c’est toi que ça aurait concerné ! On est pas fou pour si peu, on est simplement qui on est. Quand on sent que c’est important d’en parler, c’est que c’est le bon moment, mais tout ça c’est ta vie. Moi, je n’ai rien à en penser ! Après, bon, si un jour tu vrilles complètement je te le dirais, mais les amis, je trouve, sont surtout là pour accompagner en toutes circonstances, soutenir des choix, accepter l’autre tel qu’il est, quoi ! Ca ne me serait pas venu à l’idée de te contredire, tant que tu es sûre de toi je n’ai besoin de rien d’autre pour te croire. »

Il haussa les épaules après ce petit discours. Il s’emmêlait peut-être un peu les pinceaux, mais c’était dit, au moins. Qu’elle n’ait jamais peur d’être elle-même, avec lui. Il n’avait pas froid aux yeux, Noé, il lui en fallait beaucoup pour abandonner quelqu’un ; c’était quelqu’un de tenace et de loyal. Lorsqu’elle se confia à nouveau, Noé prit un air sérieux et hocha la tête en tenant sa tasse entre ses mains pour se réchauffer.

« Ouais, et je suis désolé que ça soit le cas… Je crois qu’on ne peut jamais imaginer être concerné par quelque chose comme ça. Je ne sais pas trop pourquoi ça arrive ici… Je me demande si c’est le cas ailleurs. Je me fais peut-être des films ? J’ai peut-être trop d’imagination ? Mais y’a des trucs quand même bizarres, ici … C’est censé être un phénomène rare, de perdre la mémoire, et ici on dirait pourtant que c’est monnaie courante. Je ne sais pas… Mais en tout cas, je suis vraiment désolé que tu aies à traverser ça, toi aussi. Je ne crois pas que ça soit de la naïveté, c’est juste qu’on ne peut pas se l’imaginer. »

Noé, en tout cas, ne pouvait pas croire être dans un cas similaire, lui. Quand on est persuadé de quelque chose, après tout, difficile de tout remettre en question, surtout lorsqu’on est un minimum optimiste. Noé accepta son changement de sujet sans broncher et lui adressa un large sourire.

« C’est sûr que ce sera super bon ! Ça donnait envie, en tout cas ! Et puis tu sais ce qu’on dit ? Il ne faut pas mourir idiot, et si ce n’était pas bon, ça restera tout de même une nouvelle expérience ! »

Noé était le genre de personne à vouloir tout faire, tout tester, et qui trouvait que vingt-quatre heures (moins le temps nécessaire au sommeil), ce n’était décidément pas assez !

« Carrément !! J’ai trop hâte d’installer des trucs dans ma chambre !! Ça va être un peu le camping en attendant mes meubles, l’aventure en intérieur ! Hahaha ! J’ai pas grand chose de personnel, quand je suis parti de chez mes parents j’ai pas pu prendre grand chose. Je me suis dis que, de toute façon, je trouverais bien de quoi faire sur place. Donc je ne dis pas non à un nouveau coup de main ! »

Le téléphone de Noé s’illumina soudain alors que le livreur appelait depuis la rue. Il se leva d’un bond, les yeux brillants d’excitation.

« J’arrive, monsieur, j’arrive !! Hey, ça te gêne pas si je vais récupérer notre première commande ? » lui demanda-t-il, tout sourire ; c’était comme prendre ses marques dans ce nouveau chez-lui, faire vraiment partie de la maisonnée. Il attendit son accord, tout de même, dernière confirmation de ce grand pas franchi, avant d’aller récupérer leur commande et de revenir à l’intérieur avec les sacs. « Ça sent super booooon ! A table ! »